Après la chute de la Monarchie de
Juillet, il est élu à l'Assemblée constituante
de 1848, où il intègre la Commission chargée
de la rédaction de la constitution. Il y défend
le bicamérisme et l'élection du président de
la République au suffrage universel. Hostile à la candidature
du Louis Napoléon Bonaparte à la présidence,
lui préférant Cavaignac, il accepte cependant
le ministère des Affaires étrangères entre
juin et octobre 1849 au sein du Gouvernement
Odilon Barrot. Opposé au Coup d'État du 2
décembre 1851, il fait partie des parlementaires
qui se réunissent à la mairie du Xe
arrondissement. Incarcéré à Vincennes puis
relâché, il quitte la vie politique. Se
retirant dans son château de Tocqueville, il
entame l'écriture de L'Ancien Régime et la
Révolution, paru en 1856. La seconde partie
restera inachevée.
Il est considéré comme
l'un des défenseurs historiques de la liberté
et de la démocratie, il fut anti-collectiviste
et est l'une des références des libéraux.
Théoricien du colonialisme, légitimant
l'expansion française en Afrique du Nord
(1841-1846), il fustige néanmoins la barbarie
des armées françaises en Afrique, s'oppose à
l'application du régime militaire en Algérie
(1848), et défend parmi les premiers l'abolition
de l'esclavage dans les colonies (1839).
La pensée de
Tocqueville
Son uvre fondée sur
ses voyages aux États-Unis d'Amérique est une
base essentielle pour comprendre ce pays et en
particulier lors du XIXe siècle.
La démocratie pour
Tocqueville
Durant son séjour aux États-Unis,
Tocqueville s'interroge sur les fondements de la démocratie.
Contrairement à Guizot, qui voit l'histoire de
France comme une longue émancipation des classes
moyennes, il pense que la tendance générale et
inévitable des peuples est la démocratie. Selon
lui, celle-ci ne doit pas seulement être
entendue dans son sens étymologique et politique
(pouvoir du peuple) mais aussi et surtout dans un
sens social.
L'égalité des
conditions
Ainsi la première
caractéristique de la société démocratique
est l'égalité des conditions. Celle ci n'est
pas rigoureusement définie chez Tocqueville;
Elle est à la fois un principe et un fait et ce
qu'elle recouvre évolue avec la société
démocratique. Tocqueville a écrit que
l'égalité des conditions impliquait l'absence
de castes et de classes tout en indiquant que
celle-ci n'équivalait pas à la suppression de
la hiérarchie sociale. Contrairement à la
société aristocratique, aucun des membres de la
société démocratique ne subit sa destinée du
fait de la position sociale qu'il occupe et la
hiérarchie sociale ne renvoie plus à un ordre
social préétabli qui assigne à chacun une
place, des droits et des devoirs propres.
L'égalité des conditions
constitue une autre appréhension de la structure
sociale : les positions ne sont certes pas
équivalentes mais elles ne cristallisent pas la
totalité de l'existence sociale des individus.
Ce qui constitue la condition sociale évolue
avec la société démocratique (la fortune ou la
propriété voient leur rôle se transformer).
L'égalité des conditions se redéfinie sans
cesse et ne peut se dissocier de la dynamique
sociale. Mais plus que d'égalité, il faut
parler d'égalisation dans la perspective de
l'ordre social démocratique.
Pour Tocqueville, il y a
quasi équivalence entre la démocratie (au sens
politique) et l'égalité des conditions.
Tocqueville considère que tous les hommes
possèdent comme attribut la liberté naturelle
c'est à dire la potentialité d'agir librement.
la liberté se traduit dans la cité par
l'égalité des droits civils et civiques. On
fait référence ici à la liberté c'est à dire
de ne pas être obligé de faire telle ou telle
chose, mais aussi la liberté de prendre part à
la vie publique. L'égalité des conditions
renvoie à la citoyenneté.
Pour exemple Tocqueville
expose la relation qui s'établit entre un
maître et son serviteur dans la société
démocratique par rapport à celle qui règne
dans la société aristocratique. Dans les deux
cas il y a inégalitémais dans l'ancienne
société elle est définitive alors que dans la
société moderne elle est libre et temporaire.
libre car c'est un accord volontaire, que le
serviteur accepte l'autorité du maître et qu'il
y trouve un intérêt. Temporaire parce qu'il y a
le sentiment désormais partagé entre le maître
et le serviteur qu'ils sont fondamentalement
égaux. le travail les lie par contrat et une
fois terminé, en tant que membres du corps
social, ils sont semblables. Les situations
sociales peuvent être inégalitaires. Ce qui
compte c'est l'opinion qu'en ont les membres de
la société : ils se sentent et se
représentent comme égaux.
L'égalité des conditions
est donc un fait culturel. C'est cette attitude
mentale qui fait de l'homme démocratique un
homme nouveau dont les actes sont marqués par ce
qui prend l'allure d'une évidence.
L'égalité des conditions
pour Tocqueville articule ce qui est de l'ordre
du principe : absence de distinctions
sociales fondées juridiquement, égalité des
droits, sentiment collectif de l'égalité.
Les caractéristiques de
la société démocratique
La nouvelle société est
mobile, matérialiste et assure différemment
l'intégration de ses membres.
Dans la société
aristocratique, les positions sociales sont
figées. Or pour Tocqueville, à partir du moment
où il n'existe plus aucun obstacle juridique ou
culturel au changement de position sociale, la
mobilité sociale (ascendante ou descendante)
devient la règle. La transmission de l'héritage
ne suffit plus à maintenir un niveau social et
la possibilité de s'enrichir se présente à
tous. La société démocratique apparaît comme
une société où les positions sociales sont
constamment redistribuées.
Cette société ouverte
permet une transformation de la stratification
sociale, des normes et des valeurs. Dans une
société où les positions sociales sont
héréditaires, chaque classe pouvait développer
des traits communs suffisamment marqués pour lui
permettre d'affirmer des valeurs propres. En
revanche, dans la société démocratique les
traits culturels de chaque classe s'estompent au
profit d'un goût commun pour le bien être. Ce matérialismes'affirme
lorsque l'accès à la richesse devient possible
pour les pauvres et que l'appauvrissement menace
les riches. Le brassage social réduit le rôle
de la classe aisée, victime de la concurrence
dans la course à la richesse, par l'égalitarismeet
la perte de son rôle politique. Sur le plan
culturel et économique, la société
démocratique tend vers la constitution d'une
grande classe moyenne.
Les dynamiques de la
société démocratique
Tocqueville va montrer les
mécanismes par lesquels on tend vers l'état de
la société : l'égalité est un principe,
l'égalisation un processus. La question est de
savoir comment et pourquoi la société
démocratique est appelée à suivre un tel
mouvement.
Pour Tocqueville si
l'égalité est hors d'atteinte, c'est pour deux
raisons : d'une part les hommes sont
naturellement inégaux, d'autre part, le
fonctionnement de la société démocratique est
lui même à l'origine de mouvement
inégalitaires.
L'inégalité naturelle des
individus fait que certains possèdent certaines
atouts intellectuels ou physiques. Or en
démocratie c'est l'intelligence qui est la
première source des différences sociales. Il y
a une naturalisation des inégalités fondées
sur le mérite, on parle donc de méritocratie.
Si les dispositions intellectuelles ne sont pas
équivalentes, il est possible par l'instruction
d'égaliser les moyens de leur mise en
uvre.
Comme il a été dit plus
haut la société démocratique se caractérise
par la mobilité sociale et la recherche du bien
être matériel. Pour des raisons diverses comme
les inégalités naturelles, certains réussiront
mieux que d'autres. Il y a donc un paradoxe
puisque l'égalité des conditions conduit à
alimenter les inégalités économiques. Si les
membres de la société démocratique cherchent
à s'enrichir, c'est aussi pour se différencier
socialement; Il y a donc la conjonction de deux
mouvements : une aspiration égalitaire
(conscience collective) et une aspiration
inégalitaire (conscience individuelle). L'homme
démocratique désire l'égalité dans le
général et la distinction dans le particulier.
La société démocratique
est de cette manière traversée par des forces
divergentes. D'une part un mouvement
[idéologique irréversible qui pousse vers
toujours plus d'égalité et de l'autre des
tendances socio-économiques qui font que les
inégalités se reconstituent sans cesse.
Les risques de la
société démocratique
C'est dans le renoncement
à la liberté que se trouve le danger majeur
pour la société démocratique. Un régime
politique se caractérise par la règle de la
majorité qui veut que, par le vote, la décision
soit celle du plus grand nombre. Tocqueville
relève que la démocratie comporte le risque
d'une toute puissance de la majorité. Parce
qu'il s'exerce au nom du principe démocratique,
un pouvoir peut s'avérer oppressif à l'égard
de la minorité qui a nécessairement tort
puisque'elle est minoritaire. Il est évident que
le vote traduit des divergences d'intérêt et de
convictions au sein de la société. Il peut
ainsi se faire que la poursuite de l'égalité
s'exerce au détriment exclusif d'une partie de
la population. Selon Tocqueville la démocratie
engendrait le conformisme des opinions dans la
société à cause de la moyennisation de la
société. Ainsi il dénonce l'absence
d'indépendance d'esprit et de liberté de
discussion en Amérique. Quand toutes les
opinions sont égales et que c'est celle du plus
grand nombre qui prévaut, c'est la liberté de
l'esprit qui est menacée avec toutes les
conséquences qu'on peut imaginer pour ce qui est
de l'exercice effectif des droits politiques.
La puissance de la
majorité et l'absence de recul critique des
individus ouvrent la voie au danger majeur qui
guettent les sociétés démocratiques : le
despotisme. Les hommes démocratiques sont
dominés par deux passions : celles de
l'égalité et du bien être. Ils sont prêts à
abandonner à un pouvoir qui leur garantirait de
satisfaire l'un et l'autre même au prix de
l'abandon de la liberté. Les hommes pourraient
être conduits à renoncer à exercer leur
liberté pour profiter de l'égalité et du bien
être. Les individus pourraient remttre de plus
en plus de prérogatives à l'État. Dans les
sociétés démocratiques, il est plus simple de
s'en remettre à l'État pour assurer une
extension de l'égalité des conditions dans le
domaine politique qui est encadré par les lois.
C'est l'État qui a pour charge leur élaboration
et leur mise en uvre.
A partir de là, l'État
peut progressivement mettre les individus à
l'écart des affaires publiques. Il peut étendre
sans cesse les règles qui encadrent la vie
sociale. Le despotisme prend la forme d'un
contrôle. On arrive ainsi à l'égalité sans la
liberté.
La société démocratique
transforme le lien social en faisant émerger un
individu autonome. C'est une source de
fragilisation qui peut déboucher sur une
attitude de repli sur soi. Tocqueville va montrer
que l'individualisme peut naître de la
démocratie. La démocratie brise les liens de
dépendance entre individus et entretient
l'espérance raisonnable d'une élévation du
bien être ce qui permet à chaque individu ou à
chaque famille restreinte de ne pas avoir à
compter sur autrui; Il devient parfaitement
possible pour son existence privée de s'en tenir
aux siens et à ses proches.
« l'individualisme
est un sentiment réfléchi qui dispose chaque
citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables
de telle sorte que, après s'être créé une
petite société à son usage, il abandonne
volontiers la grande société à elle
même ».
En choisissant de se
replier sur ce que Tocqueville appelle « la
petite société », les individus renoncent
à exercer leurs prérogatives de citoyen.
L'égalisation des conditions en rendant possible
l'isolement vis à vis d'autrui remet en cause
l'exercice de la citoyenneté. Le premier danger
de la société démocratique est de pousser les
citoyens de s'exclure de la vie publique. La
société démocratique peut donc conduire à
l'abandon de leur liberté par ses membres, parce
qu'ils sont aveuglés par les bienfaits qu'ils
attendent de toujours plus d'égalité
directement ou indirectement. Tocqueville
souligne que l'égalité sans la liberté n'est
en aucun cas satisfaisante. L'accepter c'est se
placer dans la dépendance.
Selon Tocqueville, une des
solutions pour dépasser ce paradoxe, tout en
respectant ces deux principes fondateurs de la démocratie,
réside dans la restauration des corps
institutionnels intermédiaires qui occupaient
une place centrale dans l'Ancien Régime (associations
politiques et civiles, corporations, etc.).
Seules ces instances qui incitent à un
renforcement des liens sociaux, peuvent permettre
à l'individuisolé face au pouvoir d'État
d'exprimer sa liberté et ainsi de résister à
ce que Tocqueville nomme « l'empire moral
des majorités ».
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